CIl est vrai qu’il a pris assez de temps avant que je réalise toutes les utilités du tablier de ma mère.
Premièrement, ce tablier en coton servait à protéger sa robe faite de matériel plus dispendieux, donc plus facilement lavable. Alors que de la visite impromptue se pointait à la porte, elle n’avait qu’à mettre son tablier au rancart afin d’y montrer une robe bien propre et ça, pas avant d’avoir fait quelques remontrances à la poussière la plus évidente... toujours avec son tablier. Maman avait l’habitude de se laver les mains très souvent.
Son tablier avait de multiples fonctions en plus de protéger ses vêtements.
Il servait à retirer les plats du fourneau, de contenant pour rapporter les oeufs du poulailler, d’apporter les légumes du jardin si elle avait oublié un seau. Des petits pois aux patates et aux pommes en fin de saison, pommes de nos nombreux pommiers.
Le matin, son tablier servait souvent aussi à transporter le petit bois d’allumage pour le poêle de cuisine, seule source de chaleur et de cuisson. Souvent, le tablier servait ensuite de soufflet pour attiser ce feu pas toujours coopératif.
Venait l’heure du diner, elle allait dehors et agitait ce grand tablier pour indiquer aux hommes des champs que le repas était prêt.
Habituellement, ce n’était pas long que la table était entourée de ces hommes, et parfois même de filles aussi venues des champs, affamés qui criaient famine.
À la fin du repas, dépendant de la saison, le bon tablier servait à prendre, du bord de la fenêtre, une belle tarte aux pommes retirée du fourneau précédemment afin qu’elle « refroidisse » un peu. Autrefois, on sortait les aliments du four pour les refroidir alors qu’aujourd’hui on les sort du congélateur pour les décongeler. Autres temps, autres mœurs.
Le partage d’idées et de taquineries égaillaient un repas bien copieux rempli d’amour et de respect pour celle qui avait passé une partie de l’avant-midi à préparer ce bon repas en essuyant souvent, à l’aide de son tablier, ces grosses gouttes d’eau qui perlaient son front, devant un poêle surchauffé en plein mois de juillet.
Par contre, l’automne arrivé, elle se servait de son tablier pour s’emmitoufler les bras et épaules par temps frais alors qu’elle se pointait dehors.
Son tablier était aussi merveilleux pour essuyer nos larmes alors qu’on venait de se blesser. Parfois, ça valait même la peine de se faire mal afin de se coller contre elle faisant semblant que la blessure était bien plus souffrante qu’elle ne l’était vraiment afin de sentir le confort de son grand tablier.
On rapporte que « se cacher dans les jupons de sa mère » venait du fait que les enfants timides se cachaient sous le tablier de leur mère quand la visite arrivait, ce qui n’était pas le cas de mes huit frères et sœurs et moi. Notre mère nous donnait toute la liberté voulue et convenable.
On deviendrait bien fou aujourd’hui rien que de songer à la quantité de microbes qui pouvaient s’accumuler sur ce tablier en une seule journée! Je crois que nous avons été inoculés naturellement contre la plupart des maladies à la suite du contact avec ce cher tablier de maman.
En réalité, la seule chose que les enfants de l’époque aient attrapée au contact du tablier de ces mamans, c’est l’amour!